Biographie 
Albert Camus, prix Nobel de littérature en 1957, est né à Alger en 1913. Il est mort dans un accident d’auto en France en 1960.
Devenu célèbre avec son roman L’Etranger il a aussi écrit Le Mythe de Sisyphe, La Peste, L’Homme révolté, La Chute. Au théâtre, il a donné Les Justes, Etat de siège, Caligula, Le Malentendu... Mais il s’est aussi révélé écrivain politique avec ses contributions de 1937 à 1940 au journal Alger Républicain de son ami Pascal Pia. Son attitude courageuse en faveur de la défense des droits des Algériens musulmans lui vaudra d’être exclu de tout emploi en Algérie. Venu en France en 1940, il deviendra, à partir de 1942, contributeur anonyme au quotidien de la Résistance Combat dont le premier numéro diffusé librement paraitra le 24 aout 1944. A partir de cette date, il y multipliera les éditoriaux. Soucieux des lendemains de la guerre et répudiant la violence, Combat est le seul à avoir parlé d'Hiroshima le 8 Août 1945 : "Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie".
Camus apportera encore sa contribution d’écrivain engagé à L’Express en 1955-56. C’est en fait du journalisme qu’il tirera ses premiers thèmes de roman et c’est dans le journalisme qu’il acquerra la maitrise de l’écriture.
Né dans les milieux populaires des « Petits blancs » d’Alger, dans une gauche assez proche du parti communiste, Albert Camus a perdu son père à la guerre dès le mois d’octobre 1914 et ne l’a donc pas connu. Il a été élevé par sa mère et une tante dans la pauvreté, refusé en 1937 à l’agrégation de philosophie pour cause de tuberculose. C’est donc dans l’écriture que Camus trouvera sa voie.
La guerre d’Algérie (1954-1962) sera pour lui un grand déchirement et il n’en verra pas la fin. Favorable aux réformes mais hostile à l’usage de la violence, il dira : « Je crois à la justice, mais pas avec les bombes. Entre ma mère et la justice, je préfère ma mère », phrase qui lui sera reprochée par les Algériens.
Défenseur d’une humanité sans autre espérance qu’elle-même, il s’opposera à toutes les idéologies, christianisme, communisme ou même existentialisme, considérant qu’elles détournent de l’humain. Avec Noces, l’ouvrage de Camus que je préfère est Le premier homme, récit largement autobiographique dont le manuscrit a été trouvé dans sa voiture au moment de l’accident et qui a été publié par sa fille en 1994.
Morceaux choisis
- Noces à Tipasa, 1936 (ou 1937)
Pourquoi j’ai choisi ce texte (HJ) ?
Je n’ai pas beaucoup mordu à la lecture des deux livres qui ont rendu Camus célèbre, L’Etranger et La Peste. Je les ai trouvés plutôt sévères, ce qui n’est pas l’avis de beaucoup de mes amis. Mais, pour un fanatique de la Méditerranée comme je suis, ce texte de Noces me parait de la poésie pure en prose. D’abord, il m’évoque les environs de Cherchell où j’ai beaucoup marché pendant mon service militaire en 1959 et je me rappelle le sang de ces géraniums dont parle Camus dans la cour carrée d’une ferme abandonnée, ainsi que l’odeur un peu âcre et si typique, non des absinthes, mais de ces feuillages que je froissais au passage. Et l’abondance des descriptions florales dont on pourrait rechercher tous les noms et toutes les couleurs, mêlées au bleu écru du ciel, à la cuirasse d’argent de la mer et au gris des pierres
Mais je retrouve aussi dans ce texte la présence des dieux. Des dieux sans majuscules, sûrement ceux de la Grèce, plus que ceux de Rome dont il n’évoque presque rien quoique les ruines soient romaines et il ne donne qu’un tout petit indice lorsqu’il parle des dalles du forum. Nous sommes dans un panthéisme qui n’est pas celui de l’Histoire ancienne, qu’elle soit de Rome ou d’Athènes, mais seulement celui du présent, et ce panthéisme n’est là que pour écarter toute religion à Tipasa, aussi bien le christianisme que l’Islam. C’est une pensée totalement païenne que révèle Albert Camus, où il n’y a place que pour le dialogue entre l’Homme et la Nature présente sous ses formes de terre, de mer et de ciel, de couleurs et d’odeurs. Et les dieux ne font pas autre chose qu’habiter la splendeur de la baie. Ils n’interviennent jamais dans le destin des hommes. Et le mot de la fin « apprendre à vivre » apparait en miroir à la fameuse phrase de Montaigne que « philosopher, c’est apprendre à mourir ». Si pour Montaigne, il est peut-être douteux qu’il y ait quelque chose après la mort, pour Camus, il est bien clair qu’il n’y a rien après la vie.
Cependant le dialogue entre l’Homme et la terre ou la mer conduit à une union si forte qu’elle en est charnelle : Le corps a un gout de sel comme si l’on pouvait le manger, la mer pousse des soupirs, la terre et la mer soupirent lèvres à lèvres comme un être vivant. La mer encore suce les rochers avec un bruit de baisers. Et cette union dispense de philosophie : pas besoin de mythes, ni de l’amère philosophie qu’on demande à la grandeur.
Mais ce qui me touche le plus est la poésie puissante qui sourd de l’union des corps avec la Nature, union si forte qu’elle peut faire oublier la mort puisque, comme les pierres des ruines, le corps fait de chair et d’os retournera lui aussi, ayant perdu son poli, à la nature. Il faut savourer l’instant, oublier deux mille ans et plus de religion, et dire comme Horace « carpe diem », cueille le jour, car il est comme une fleur, beau et fragile dans l’instant, comme cette rose qui, selon Malherbe, « ne dure qu’un matin » et que Ronsard aussi évoque lorsqu’il dit « N’attendez à demain, cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ».
En annexe, relever les couleurs citées, les noms de plantes, les images anthropomorphiques qui évoquent l’amour et les noces. Mais comment ne pas gouter pleinement la maitrise de cette prose pleine de saveur et d’images et, même si l’on peut ne pas être d’accord avec son pessimisme actif, la fermeté de la pensée d’un garçon de vingt-trois ou vingt-quatre ans. La morale de Camus n’est pas un simple hédonisme de la mer et du soleil. C’est la conviction qu’il faut vivre pleinement la condition d’homme dans ses limites et précisément parce qu’elle est limitée, et refuser tout ce qui l’avilit.
Lisez les morceaux choisis
Noces à Tipasa, Paris, Éditions Gallimard, 1959, 183 p.