Biographie 
François VI, deuxième duc de la Rochefoucauld, issu d’une des plus grandes familles de l’aristocratie française est un homme qui a totalement raté sa carrière politique. Ayant fait le mauvais choix de s’opposer au cardinal Mazarin, Premier ministre pendant la Fronde et les années de la minorité de Louis XIV, il fut amnistié mais ne rentra vraiment jamais en grâce. Il avait aimé passionnément la duchesse de Longueville, sœur du Grand Condé, qui l’entraina dans des aventures politiques et guerrières sans issue, l’abandonna pour finir, et leur jeune fils, le comte de Saint-Paul fut tué en 1672 au passage du Rhin, tandis qu’un autre des fils de l’écrivain était blessé mortellement.
Ayant renoncé à toute ambition, il tenta de se consoler dans la littérature et, avec son amie, Mme de La Fayette qu’il aida à écrire La Princesse de Clèves, le premier et sans doute le plus beau roman de la littérature française. Il mit à profit la connaissance qu’il avait acquise de l’âme humaine durant sa vie politique agitée pour faire une analyse des passions qu’il avait lui-même vécues ou observées dans ses Mémoires mais aussi et surtout dans les cinq éditions successives de ses Réflexions ou sentences et maximes morales. Lors d’un combat contre les troupes du roi à la Porte Saint-Antoine (près de la Bastille), il avait reçu une décharge de mousquet en plein visage et avait cru devenir aveugle. Il en était resté partiellement défiguré mais surtout désillusionné.
Je ne peux résister au plaisir de conter l’anecdote des vers qu’il avait consacrés au portrait de la duchesse de Longueville :
Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J’ai fait la guerre aux rois ; je l’aurais faite aux dieux.
Après qu’elle l’eut abandonné, il corrigea ses vers :
Pour ce cœur inconstant, qu’enfin je connais mieux,
J’ai fait la guerre aux rois ; j’en ai perdu les yeux.
Morceaux choisis
- La mort, Réflexions ou sentences et maximes morales, 1678
Pourquoi j’ai choisi ce texte ? (HJ)
J’ai choisi ce texte tout d’abord parce qu’il est le dernier de l’édition de 1678 et qu’il vient, en quelque sorte conclure et résumer toutes les maximes qui précèdent. Dans son effort pour démasquer tous les faux-semblants de la vie, La Rochefoucauld butte sur le dernier obstacle, le plus difficile à franchir, comment conjurer la peur de la mort. Et paradoxalement, pour nous tenir son raisonnement qu’il vaut mieux ne pas trop la regarder, il s’oblige, lui, à la regarder bien en face, pour nous. Et lorsqu’il nous dit qu’il va considérer la mort comme les païens, sans l’espérance d’une meilleure vie, nous sentons bien que c’est précaution oratoire et qu’il n’est pas bien persuadé lui-même de l’éternité. Mais dans un siècle où le pouvoir et la religion sont si étroitement liés, il serait bien imprudent de douter de la vie éternelle. Et La Rochefoucauld ne veut pas remettre en cause les croyances d’une religion à laquelle il appartient, au moins sociologiquement.
Mais je suis aussi sensible au style sans effets qui confère à l’analyse de l’auteur un ton d’objectivité lucide. Le balancement des périodes qui suivent la gloire de mourir avec fermeté, la justesse de l’image de la haie, cet exemple si bien jugé du laquais en train de danser sur l’échafaud même, tout cela donne au raisonnement de l’auteur une grande force de conviction. A aucun endroit de ce texte, La Rochefoucauld ne nous laisse espérer la grâce ou le salut. Même la raison n’est d’aucun secours : comme on n’est pas sur de son courage, la vertu suprême aux yeux des philosophes, le mieux que l’on peut faire est d’éviter de penser… C’est une conclusion bien pessimiste de la part d’un homme qui a consacré une grande part de sa vie à la recherche de la vérité derrière les apparences. Et cette méditation qui, répudiant l’assistance que peut donner la raison, ne renonce pas pour autant aux arguments de la logique, a dû lui paraitre d’une bien grande importance pour qu’il ait préféré terminer son livre par une longue page plutôt que par la formule si puissante de la maxime « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement ». C’est cette aptitude à ramasser en si peu de mots et avec des images fortes une pensée de portée générale qui donne leur valeur littéraire aux maximes, même si parfois certaines semblent un peu tirées à la ligne ou jouer trop des contrastes stylistiques.
Comme dans La Princesse de Clèves, la justesse de l’analyse psychologique donne tout leur éclat aux sentences, de sorte que, lorsqu’on les a lues, on se dit : « Il n’y a rien d’autre à dire ». Et si je voulais donner à mes interlocuteurs le gout de lire La Rochefoucauld, je me contenterais d’énoncer ce que je crois être le sommet de la littérature française, cette fine définition, toute en creux, de l’amour :
« L’absence diminue les médiocres passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies, et allume le feu ».
C’est un peu la même idée que Napoléon exprimait quand il disait, mais plus sèchement : « En amour, une seule stratégie, la fuite ».
Les Sentences et Maximes morales de La Rochefoucauld ne sont pas de la poésie au sens habituel du terme mais la concision et la force de leur expression, la justesse de ton et l’élégance des tournures en font, selon moi, un chef d’œuvre de la littérature française qui vaut bien toutes les versifications. La Rochefoucauld est aussi, avec Saint Simon, l’exemple d’un homme qui a tout raté dans sa vie mais qui a conquis sa notoriété par la qualité de sa pensée et de son écriture. Avec une lucidité qu’on pourrait qualifier de pessimisme, il n’aura de cesse de dénoncer tous les faux-semblants et les hypocrisies de la société ainsi que ce qu’il appelle l’intérêt. On se contentera de donner ici quelques échantillons de ces Maximes en espérant qu’elles donneront envie de lire les autres…
Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui.
Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.
Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n’être plus en état de donner de mauvais exemples.
On aime mieux dire du mal de soi-même que de n’en point parler.
La vertu n’irait pas si loin si la vanité ne lui tenait compagnie.
Les vieux fous sont plus fous que les jeunes.
Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit.
Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit
Les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer.
Le plus dangereux ridicule des personnes qui ont été aimables est d’oublier qu’elles ne le sont plus.
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