Biographie 
Jean-Jacques Rousseau est une des énigmes de la littérature. Né à Genève en 1712, ayant perdu très jeune sa mère et ayant reçu une éducation relativement négligée, il s’enfuit de Genève à l’âge de 16 ans et échoue à Chambéry où il fait la connaissance de Madame de Warens. Envoyé à Turin, après de nombreuses péripéties, il revient à l’âge de 20 ans chez Madame de Warens. C’est alors le grand amour de sa vie qui durera huit années. Revenu à Paris, il écrit de la musique et touche un peu à tout. Sa rencontre avec Diderot sera le tournant de sa carrière. Son Discours sur les sciences et les arts, couronné par l’Académie de Dijon, le rend célèbre dans les milieux littéraires et tous ses ouvrages dès lors, qu’ils soient approuvés ou critiqués, auront un énorme retentissement : La Nouvelle Héloïse (roman qui a fait pleurer Napoléon !), Le Contrat social, L’Emile et plus tard, Les Confessions. Adulé autant que haï, doué d’une sensibilité d’écorché qui le fit bientôt se considérer comme un persécuté, Rousseau a certainement exercé une plus grande influence sur les sociétés pré et post-révolutionnaires que Voltaire, Montesquieu ou Condorcet. Il a su éveiller dans les différentes couches de la population une sensibilité qui fait de lui le père ou le grand-père du romantisme, influence dont les traces se sont prolongées jusque dans notre société du XXIe siècle.
Les Rêveries du promeneur solitaire sont peut-être la plus belle expression de cette sensibilité à la fois ouverte et retenue, chez un vieil homme qui n’a plus rien à perdre ni à défendre et fait participer une dernière fois le lecteur aux battements de son cœur.
Morceaux choisis
- Cinquième promenade, Les rêveries du promeneur solitaire, 1782
- Dixième promenade, Les rêveries du promeneur solitaire, 1782
- Prosopopée de Fabricius, Discours sur les Sciences et les Arts, 1782
Pourquoi j’ai choisi ces textes (HJ) ?
C’est au XVIIIe siècle qu’apparait pour la première fois le sentiment du paysage et Rousseau est l’un des premiers à exprimer son amour pour la nature considérée comme innocente par opposition à la société. Ce sentiment qui lui fait apprécier la botanique s’épanouit lorsque réfugié en Suisse et loin de ses supposés ennemis, il peut librement gouter à la paix et à la qualité de cette nature. D’où cette description du paysage qu’il montre, des terrasses et des tertres les plus proches jusqu’aux montagnes bleuâtres. Coup d’œil magistral... Ensuite pour un musicien comme l’est Rousseau, c’est le rythme du flux et du reflux qui va déclencher chez lui la rêverie, la vraie et la seule véritable de tout ce recueil qui en porte le nom. On pourra comparer avec Lamartine cette musicalité des flots... Là encore, Rousseau a plusieurs décennies d’avance sur Chateaubriand et pourtant, il ne s’agit que d’eau douce et non pas de la mer qu’il n’a jamais vue… Qu’en eût-il dit ?
"La dixième promenade" est le dernier que Rousseau a écrit, quelques mois avant sa mort. Il clôt toute son œuvre par un rappel extrêmement émouvant de l’amour qui a transformé sa vie et qu’il a découvert brutalement un demi-siècle auparavant. S’il est revenu à pied depuis Paris à l’âge de vingt ans à Chambéry où il a trouvé l’amour, c’est parce que cette première rencontre à seize ans l’avait déjà ébloui. Et c’est donc ce premier souvenir qu’il évoque dans ce texte si chargé d’émotion et de tendresse où tout redevient comme au premier regard, plus fort que la découverte de la sensualité quatre ans plus tard, plus fort que la trahison subie, plus fort que les retrouvailles avec Madame de Warens vieillie, plus fort que la mort de cette dernière. Subitement tout est oublié, tout redevient nouveau, plus fort que nouveau, neuf... Quelle merveilleuse capacité de Rousseau, rajeuni d’un seul coup, à retrouver le rêve de son adolescence, à le transfigurer en l’idéalisant, puis à le rendre immortel dans ce beau texte qui mérite d’être appris par cœur. J’avoue que je suis resté sous le charme de ce passage depuis qu’âgé de 17 ans moi-même je l’ai lu dans les classes du lycée Louis-Le-Grand…
De tous les philosophes des Lumières, il semble bien que ce soient les idées de Rousseau qui aient eu la plus grande influence sur ses contemporains ainsi que les générations suivantes.
Nous avons, dans La prosopopée de Fabricius, un magnifique exemple du grand style des XVIIe et XVIIIe. On peut dire, plus magnifique que Bossuet, et cela, avant Chateaubriand. Vous avez de l’histoire romaine, de la philosophie, et des plus-que-parfait du subjonctif à foison. Il va sans dire que ces textes sont faits pour être lus dans les plus grandes assemblées politiques et qu’il leur faut, par exemple, l’écho du Panthéon pour qu’ils prennent toute leur dimension. Je pense à la voix caverneuse de Malraux qui avait tant impressionné lors de l’entrée au panthéon des cendres de Jean Moulin.
Même si cette prosopopée peut paraître un peu pompeuse à nos oreilles contemporaines, et si on ne l’écrirait plus ainsi de nos jours, il n’en reste pas moins qu’elle est un chef d’œuvre de notre langue.
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Rousseau les reveries du promeneur solitaire 5e promenade (61.68 Ko)
Rousseau les reveries du promeneur solitaire 10e promenade (65.61 Ko)
Rousseau prosopopee de fabricius (65.25 Ko)