Biographie 
François-René, vicomte de Chateaubriand a vécu toute la période qui va de la prise de la Bastille aux premiers mois de la IIe République. Il ne se contentera pas d’être le spectateur passif de ces bouleversements. Au retour de son voyage en Amérique qui aura été pour lui un parcours initiatique, il entrera dans l’émigration, sera près de mourir de faim à Londres, contribuera avec Le Génie du christianisme à la réconciliation des Français avec la religion, dénoncera l’exécution du duc d’Enghien et se brouillera avec Napoléon, qu’il finira par attaquer franchement, sera déçu par Louis XVIII, encore plus par Charles X, auquel il demeurera fidèle après sa chute en 1830 et ne trouvera pas dans la monarchie bourgeoise de Louis-Philippe le régime politique de ses espérances. En décalage perpétuel avec les institutions et les régimes, il sera beaucoup plus souvent un opposant ou un marginal qu’un adepte. Ce n’est qu’en 1823, comme ministre éphémère des affaires étrangères qu’il trouvera un rôle à sa mesure en aidant à la restauration des Bourbons d’Espagne. Quelques grandes ambassades le consoleront un instant mais régulièrement en avance de plusieurs idées politiques sur son temps, il finira sa carrière comme prophète non écouté, avec le grand-œuvre de sa vie, les Mémoires d’Outre-tombe où sa lucidité et les jugements qu’il portera sur les séismes politiques de son demi-siècle, servis par une prose somptueuse et chatoyante, achèveront de porter au zénith une réputation que ses premières oeuvres de jeunesse, René, Atala, Les martyrs avaient très tôt affirmée. C’est avec raison que Victor Hugo pourra s’assigner comme objectif d’« être Chateaubriand ou rien ». Véritable père du romantisme, celui qu’on appelait « L’enchanteur » domine la première moitié du XIXe siècle comme Hugo la seconde. Mais le second n’aurait sans doute pas pu déployer son génie si le premier ne lui avait pas ouvert la voie.
Dans de nombreux domaines, il aura été plus qu’un homme politique, plus qu’un écrivain, plus qu’un poète, un visionnaire inspiré.
Il y a tant de textes magnifiques dans Les Mémoires d’Outre-tombe que je n’ai pas pu me limiter à un seul et que j’ai eu beaucoup de mal à n’en retenir que quatre...
Morceaux choisis
- L’adolescence à Combourg, Livre 1, Chapitre 6, Livre 3, Chapitre 11-12, Mémoires d’outre-tombe
- La rade de Brest, Livre 2, Chapitre 8, Mémoires d’outre-tombe
- La nuit à Niagara, Livre 7 Chapitre 7 Mémoires d’outre-tombe
- Le Méchacebé, Livre 8, Chapitre 4, Mémoires d’outre-tombe
- Napoléon, Livre 14, Chapitre 4, Mémoires d’outre-tombe
Pourquoi j’ai choisi ces textes ? (HJ)
L’adolescence à Combourg : Est-il besoin d’une justification ? Peut-on rester insensible à ces descriptions où Chateaubriand révèle un sens inné de la nature et sait combiner en une merveilleuse synthèse les mouvements, les couleurs et les sons pour rendre une atmosphère, comme jamais personne avant lui, sauf en de rares instants Rousseau ou Bernardin de Saint-Pierre, n’avait réussi à le faire. Qui donc avant lui a su évoquer la poésie des soirs d’automne sur les marais ? Qui a su déployer les coloris et l’explosion de la vie printanière ? Aucun décorticage du texte ne peut restituer l’ambiance poétique du texte. Il faut en accepter la magie au travers de la vision multisensorielle que nous en donne Chateaubriand. Sans oublier cependant le charme particulier des évocations du Nil ou de Rome qui font écho à ses voyages, à sa vie passée ou tout simplement à l’Histoire et qui donnent une profondeur particulière à un récit dont le point de départ n’est après tout qu’un simple étang du fond de la Bretagne ou la lande de Plancoët...
La rade de Brest : C’est la magnifique progression de ce texte qui m’a séduit, de la rêverie solitaire du jeune homme couché dans l’herbe à la mise en scène de la flotte manœuvrant dans la rade jusqu’à la grandiose comparaison de l’Eternel commandant aux flots. Ce texte est en effet une sorte de résumé de la carrière littéraire de l’auteur qui, de l’émotion et de la confusion préromantique du jeune homme, prend peu à peu de l’ampleur pour atteindre la tonalité et les résonances de la voix des prophètes dans ce dialogue cosmique étendu aux dimensions de l’univers, entre la mer et l’Eternel. Si brève qu’ait été la carrière de marin de Chateaubriand, il aura été, de sa naissance pendant la tempête à Saint-Malo, jusqu’à sa tombe sur l’ilot du Grand-Bé, sensible à la poésie puissante et changeante de la mer et à tous ses symboles si chers aux romantiques et l’on ne peut, à ce propos, qu’entendre l’écho de Lamartine dans la première strophe de Le lac.
La nuit à Niagara : C’est toujours l’incomparable maitrise et magie de « l’enchanteur », comme on l’appelait, sa capacité à évoquer, cette fois au cœur des forêts du Nouveau Monde, le spectacle de la nature demeurée vierge. C’est incomparablement plus beau que le récit (invité ?) de sa chute dans la cataracte. Mais l’intérêt supplémentaire de ce fragment est que Chateaubriand nous révèle avoir trouvé sa vocation d’écrivain ici, au fond des forêts de l’Amérique. Le déclic de sa carrière d’écrivain est presque québécois, comme le début de sa carrière politique sera marqué par la lecture du journal annonçant la fuite du roi à Varennes. On peut donc dire sans exagérer que le Chateaubriand que nous connaissons est né littérairement et politiquement aux Amériques ou, s’il n’y est pas né, qu’il s’y est éveillé.
Le Méchacebé : Il importe peu que le botaniste amateur ait mêlé des arbres de différents climats et dont les floraisons ne sont pas simultanées, et que le papayer soit à l’origine un arbre de Malaisie. Chateaubriand réussit avec son kaléidoscope botanique à composer un tableau en deux parties où les arbres apportent des formes et des couleurs immobiles tandis que le ciel se transforme en un volcan changeant. Encore une fois, c’est un somptueux tableau dont on ne peut qu’admirer la composition, une extraordinaire transposition de souvenirs mêlés les uns aux autres. Peut-être beaucoup plus beaux que toutes les réalités entrevues... Comme si, pour utiliser une comparaison audacieuse, la sensibilité de l’auteur, sorte de combustible nucléaire, enchainait une série de réactions de transmutations de la réalité en un flamboiement de sensations sonores et visuelles.
Napoléon : Ce fragment pourrait être intitulé « Napoléon et moi ». Manifestement, ici, Chateaubriand n’est pas seulement l’homme politique ou le littérateur du Génie du christianisme. Il entre dans ces lignes un tout petit peu de dilatation de l’ego... Mais si l’anecdote n’a pas été rapportée par les contemporains, elle a assez de vraisemblance pour être vraie, notamment par la façon abrupte de Napoléon d’engager et de clore la conversation... sans attendre la réponse à ses remarques. Pour le reste, la description de la scène ne manque pas de piquant avec cette ouverture du cercle des assistants devant le Premier consul, sa reconstitution autour des deux hommes. Quand il écrit ce texte, Napoléon est mort à Sainte-Hélène et toute sa grandeur n’est plus qu’un fantôme. Comme souvent, Chateaubriand saisit l’évènement pour rappeler l’Ecriture et y ajouter une réflexion sur le destin et le néant des grandeurs de ce monde. C’est ce souffle et cet écho permanent, cet aller-retour entre les choses de ce monde et leur vanité qui donne leur profondeur aux Mémoires d’Outre-Tombe. Ils ne sont pas seulement écrits pour être lus après la mort de l’auteur. Lui-même, de son vivant, ne manque jamais de se placer déjà dans l’au-delà pour juger la véritable valeur des évènements d’ici-bas et leur donner leur véritable perspective.
Téléchargez les morceaux choisis
Chateaubriand ladolescence a combourg (70.63 Ko)
Chateaubriand la rade de brest (60.83 Ko)
Chateaubriand la nuit a niagara (59.91 Ko)
Chateaubriand le mechacebe (61.62 Ko)
Chateaubriand napoleon (75.43 Ko)